Chronique de "Malgré toute ma rage" de Jérémy Fel

Certains livres font beaucoup parler d’eux. Chez moi, ça finit toujours par déclencher un achat compulsif. Parfois, ça finit par prendre la poussière dans ma PAL, mais parfois, j’y plonge tout de suite et, dans ce cas-ci, c’est la tête la première que j’ai atterris dans cette étouffante lecture…

On commence pourtant tranquillement, alors que Chloé nous raconte fièrement comment ses copines et elles ont réussi à persuader leurs parents de les laisser s’envoler pour l’Afrique du Sud. Au Cap, elles s’attendent à passer des vacances de folies, loin de tous les interdits parentaux. Vu leur destination, il est pourtant manifeste que le séjour va mal tourner… Déjà en tant que mère, je me demande quel parent normalement constitué a pu accepter un truc pareil ! (On me dit à l’oreillette que je ne suis qu’une vieille mère casse-pied, mais que mes enfants sachent que mes lectures ne m’aident certainement pas à redescendre le niveau de ma paranoïa !)

Et alors que de péripéties un peu stupides en véritables catastrophes, l’histoire se drape de plus en plus de noirceur, les narrateurs s’enchaînent… Cette particularité de narration est vraiment inédite, à mon sens ! On a l’habitude de lire une alternance de personnage, voire de lire des romans chorals, dans lesquels toutes les voix sont synchronisées. Ce n’est pas le cas ici, puisque les changements de point de vue ne vont faire que nous engloutir plus profondément dans l’histoire qui avance, narrateur après narrateur.

Vient enfin ce moment où l’on n’a plus qu’une idée en tête : comprendre le « qui et le pourquoi » qui sont à l’origine du drame dont nous sommes les témoins impuissants.

Il y a le Cap, bien sûr, qui est le lieu du drame, mais l’origine de tout est plus lointaine, et l’auteur nous ramène à Paris, dans le milieu plutôt acide de l’édition, qu’il ne présente d’ailleurs pas sous son jour le plus séduisant… Au-delà de cette caste nauséabonde, c’est au cœur des secrets et des dysfonctionnements familiaux que l’auteur nous asphyxie. Parce qu’il s’agit bien là d’asphyxie, puisqu’à chaque nouvelle page tournée, notre respiration se raréfie davantage, aspirée par l’horreur et la noirceur de ces monstres qui n’ont plus d’humain que le nom.

On m’a souvent parlé du « curseur Fel » ! J’ai cette fois bien saisi le concept, et il met la barre très haute en matière de violence, d’abjection, mais surtout, et c’est à mon sens le pire, de malaise ! C’est sans aucun doute la sensation prédominante de toute cette lecture : le malaise, largement aromatisé de perversion.

Et puisque ces sensations dérangeantes sont prégnantes durant toute la lecture, je devrais conclure en criant à l’exagération ou à l’inhumanité ! C’est pourtant tout le contraire, car, oui, j’ai adoré ma lecture ! Jusqu’à ce point final qui déchire l’âme et qui donne envie de crier cette rage, toute cette rage contenue dans le titre et qui reflète si bien la lecture.

Si vous avez le cœur bien accroché, alors peut-être pourrez-vous, vous aussi, plonger dans ces lignes magistralement perturbantes.